Une bouteille à la mer – Jean-Alain Roger

23 heures, 12 minutes,  26 secondes et quelques millièmes…
Sinistre compte à rebours ! Les digits de l’horloge atomique défilent en rouge sang sur l’écran du labo souterrain. Demain la terre ne sera plus, mais le temps ne s’arrêtera pas pour autant… Il a débuté avec le Big Bang et a étiré l’espace jusqu’à créer notre pauvre terre et n’en faire qu’une poussière dans l’infinité. L’Univers continuera bien sans nous.
Ici, à 6000 m d’altitude, je suis un des derniers survivants de cette planète ridicule et je suis chargé d’une mission tout aussi ridicule. Il me faut expliquer pourquoi notre monde va disparaitre, traduire ce message en binaire et l’envoyer dans l’espace comme une bouteille que l’on lance à la mer. Non pour être sauvé mais pour tenter d’expliquer. Il n’y a en effet rien d’autre à faire : le caillou qui va heurter notre planète a une taille telle que tout sera pulvérisé ! Pfittt !
La probabilité est faible qu’une intelligence quelque part puisse décoder ce message et je souris en pensant à vous les experts qui ne manquerez pas de vous engueuler devant ces zéros et ces uns apparemment ordonnés et pourtant incompréhensibles. C’est bien ça ? Vous ne comprenez rien à ce message ? Tant pis, je continue car il me faut surtout vous parler de l’homme, l’être vivant qui a malheureusement réussi à dominer cette planète.
Son pouvoir de nuisance ? La pollution chimique et nucléaire qui a eu raison de toute vie sur cette terre. Un déclin, lent et insidieux, dû simplement, tout simplement, à une augmentation inexorable et irréversible de la stérilité animale et végétale. Chers collègues – je peux bien vous appeler ‘chers collègues’- peut-être vous reproduisez-vous par clonage ? Ou par scissiparité, ce qui serait amusant. Bon, je n’ai pas vraiment le temps de vous expliquer ici comment cela se passait pour nous …
Très vite il n’est resté que des vieux, et le nuage chimique enserrant la terre en a eu raison sans difficulté. Seuls quelques insectes ont survécu et il est bien difficile de dire ce qui reste au fond des eaux radioactives des océans, sans doute de monstrueux mutants. Les océans eux-mêmes ont donné un coup de main. Ils n’ont rien trouvé de mieux que de lâcher de gigantesques pets de méthane qui, en s’enflammant, ont cramé la végétation autour du globe. Enfin, ce qui en restait, après l’accélération du réchauffement climatique dû à l’activité humaine.
Bref, je survis dans ce bunker sous l’Observatoire, m’amusant chaque soir à regarder ce caillou minable qui fonce vers moi et dont l’homme n’avait nul besoin pour anéantir la terre. Demain je vais assister à ce qui ne sera finalement que le grand nettoyage nécessaire.
‘Poussière, tout n’est que poussière et nous retournerons en poussière’. Cela ne vous dit rien ? Probable ! Donc c’est pour demain soir et c’est un peu triste tout de même d’être seul pour vivre en direct, et en bien plus majestueux, l’expérience des dinosaures. Chers Collègues, je ne vais pas avoir le temps de vous expliquer ce qu’est un dinosaure.
Ah, une dernière chose, il ne sera pas nécessaire d’envisager une visite, vous seriez déçus ! Même si vous apercevez encore une planète bleue, le temps d’arriver, les miettes se seront dispersées dans la galaxie !
22 heures, 43 minutes,  12 secondes et quelques millièmes…
Le feu d’artifice va être grandiose.
Sûr, dans quelques heures je vais bien m’éclater !
Un seul regret, je ne pourrai pas vous raconter…

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