Le prisonnier – Raphaëlle Barnoud

Le cachot était plongé dans la pénombre. L’homme gisait au sol, entravé depuis des semaines. Tous ses membres étaient engourdis. On voulait le mater, le rendre fou mais il savait qu’à ce jeu-là, il serait le plus fort. Son visage ne traduisait aucune souffrance, aucune peur. Toute sa force, toute son énergie se concentrait sur sa tentative de sortir progressivement de son enveloppe charnelle. Il visualisa son gros orteil droit et constata que, peu à peu, il ne le sentait plus. Il respira longuement, profondément et poursuivit son effort. Cette sensation s’étendit insensiblement à tout son pied puis à sa jambe.
Après de nombreuses tentatives, c’était la première fois qu’il arrivait à ce stade. Surtout ne pas relâcher son effort. Son cœur ralentit pour ne battre qu’à quelques pulsations par minute. Son esprit se dilata, s’ouvrit vers l’infini et quitta totalement ce corps meurtri. Il flotta un instant et se vit : forme recroquevillée en chien de fusil. Il traversa l’épaisse porte de sa geôle. Il survola l’escalier et se retrouva dans la salle de garde où les deux gardiens, des brutes qui l’avaient torturé à maintes reprises, s’étaient assoupis.
Puis l’instant arriva où son âme explosa en une gerbe d’étincelle et de couleurs. D’un seul bond, il s’élança brusquement hors de la forteresse, s’éleva vers le ciel pour venir se nicher dans les étoiles. Cette même nébuleuse qui l’hypnotisait les soirs d’été de son enfance alors qu’il était allongé sur la plage avec ses frères. Il se vit, enfant, jouant dans le vaste jardin de la maison de sa grand-mère. Il contempla les couleurs automnales de son pays d’origine. Il admira à nouveau la démesure du grand canyon. Il s’attarda devant le coucher de soleil de Key West, là où le rayon vert, ultime trait lumineux, résiste à l’obscurité.
Toutes ces images s’estompèrent les unes après les autres pour laisser la place au visage de sa mère, puis de la femme aimée qui s’effacèrent à leur tour. Il tendit alors une main lumineuse et brillante vers le firmament resplendissant qui vibra à son contact. Son esprit dessinait encore la silhouette de son corps qui se tendit pour partir vagabonder parmi les étoiles.
Ce fut l’histoire d’un instant, suspendu à l’incertitude du temps. Une éternité pour l’homme qui comprit que cette escapade allait prendre fin quand son cœur accéléra pour reprendre, peu à peu, un rythme normal. La douleur, fulgurante, atroce, surgit quand il réintégra son corps toujours entravé. Mais le râle qui s’échappa de sa gorge était un cri de victoire. Première tentative réussie. Elle ne serait pas la dernière.

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