En cet après-midi ensoleillé, malgré la froidure de l’hiver qui s’attarde, Monsieur de Petitbedon fait le tour de son domaine, canne à pommeau d’argent bien arrimée dans sa main droite. Plongé dans ses pensées, il ne voit pas Félix, le garde-chasse à la retraite depuis peu.
– Bonjour M’sieur l’Comte, dit ce dernier d’une voix respectueuse.
De Petitbedon sursaute, regarde qui l’interpelle et répond :
– Félix, mon bon Félix, vous ici ? Si je m’attendais à vous voir…
Silence. D’habitude, Monsieur de Petitbedon est volubile mais là, il ne sait pas pourquoi, rien ne lui vient à l’esprit.
Il se ressaisit : Alors, Félix, cette retraite ?
– Heu, ça va bien, M’sieur l’Comte.
– Mais encore ?
– Ben vous savez c’que c’est, faut changer les habitudes.
– Changer ?
– Ben oui ! C’est pas facile vous savez. J’avions la manie de m’lever tôt, avant même le soleil, j’courais le domaine, j’vérifiais l’état des barrières, des bois, j’pistais les braconneux…
– Oui, mon brave Félix, vous faisiez tout cela et fort bien. Aujourd’hui, point n’est besoin que vous vous leviez aux aurores. Prenez le temps de vivre sans contrainte, sans horaire.
– C’est qu’j’m’ennuie, M’sieur l’ Comte.
– Comment diable, vous vous ennuyez… C’est bien fâcheux d’avoir du temps pour soi et de ne pas savoir en profiter…
– Mais M’sieur l’Comte, vous comprenez pas, courir les bois, c’est tout’ma vie.
– Certes et vous le fîtes fort bien. Cependant, aujourd’hui, vous méritez de vous reposer, de penser à autre chose, d’avoir une activité…
– Penser à quoi, M’sieur l’Comte ? Quelle activité ?
– Par exemple, vous pourriez lire, peindre… Ou voyager, que sais-je ?
– J’aurions p’t’être ces idées si j’avions point passé tout mon temps à faire le garde-forestier. J’ai jamais lu, la peinture, c’est pas dans mes cordes sauf passer la chaux sur l’étable, et voyager, mais pour aller où ? J’connais pas l’monde, moi, j’ai jamais quitté l’domaine sauf pour aller à l’église et c’est pas loin d’ici.
– Allons, allons, mon brave Félix, vous avez bien un hobby…
– C’est quoi un hobby ?
– Un violon d’Ingres, un passe-temps si vous préférez.
– Ben, à part courir les bois, j’voyons rien.
– Mais alors, c’est très simple Félix, continuez à courir les bois puisque c’est ce qui vous plaît. Au revoir Félix.
Et Monsieur de Petitbedon reprend d’un pas compassé sa promenade.
Tout d’un coup, Félix est à ses côtés et lui dit tout de go :
– Dites, M’sieur l’Comte, maint’nant qu’chuis plus à vot’ service, j’peux braconner ?