C’est tout récemment que Mathieu m’a avoué le métier qu’il aurait aimé faire. Nous étions assis à la terrasse d’un café, nous parlions de nos études, de nos carrières scientifiques, de notre passion commune pour les Mathématiques, lorsque brusquement Mathieu changea de ton et me dit :
Ce que j’ai bien aimé dans la recherche en Mathématiques, c’est la création. Inventer une structure, l’étudier, la mettre en relation avec les structures connues. Mais dans mon âme, je suis un littéraire, un amateur de mots. Au fond, le métier que j’aurais aimé faire est vendeur de mots.
– Tu veux dire, écrivain ?
– Non, écrivain, j’en aurais été incapable ! Je pense plutôt à quelqu’un qui invente de nouveaux mots et qui en fait un commerce. J’imagine une boutique avec une enseigne du genre: Aux bons mots , comme d’autres s’appellent: Au bon lait . A l’intérieur: un bureau, des chaises pour faire attendre les clients, des dictionnaires en rayon.
Je l’interrompis :
Y – a – t’il vraiment une demande pour cela ?
– Certainement ! Il y a d’abord les industriels qui doivent nommer un nouveau produit. Ils me diront, c’est pour un bâtonnet qui enlève les taches. Je leur proposerai : Patache, purpulin, blanzipan, clairstyl, immaculo, ola-neige.
– Bon d’accord. Tu veux être le roi du néologisme.
– J’avoue que lancer un néologisme sur le marché et le retrouver quelques années après dans les dictionnaires ! C’est mon rêve, le plus fou.
– Pour avoir plus de clients, je pense que le métier d’écrivain public te conviendrait mieux.
– Oh, non ! Pas de phrases, juste des mots. Certains viendraient me voir pour trouver le mot juste. Une femme me dirait :
– Je crois que mon mari me trompe, il fait cela en cachette, mais je n’arrive pas à le dire exactement .
– Il fait cela en tapinois, répondrais-je.
– En tapinois, çà alors ! Merci, combien vous dois-je ?
– Pour en tapinois, c’est deux euros, dirais-je .
Je préparerais aussi des listes de mots ayant une certaine harmonie. Ces listes pourraient servir aux écrivains . Par exemple : Engoulevent, escarboucle, marcassite, azuréen, flamboyant, adamantine, hypoténuse.
– Quel jaillissement ! Bravo, si tu improvises ! Mais crois-tu vraiment que le mot hypoténuse soit harmonieux ?
– Oh, excuse-moi ! C’est mon ancien métier qui revient. En fait, l’harmonie des mots n’est pas universelle. On peut trouver harmonieux des mots qui nous sont chers. Pour moi, c’est le cas pour liberté, droiture, générosité, exemplaire.
– Mon cher Mathieu, je te souhaite beaucoup de réussite dans ta boutique exemplaire. Ses vitres seront traitées au blanzipan. Je les imagine entourées de marcassite. Sur le seuil, des engoulevents chanteront. J’y viendrai, sans qu’on me remarque, en tapinois.