C’est le soir. Arthur, sept ans, est couché dans son lit. Kate, sa mère, est assise à côté de lui.
– M’man…
– Oui, mon chéri.
– Quand est-ce qu’on va voir papa ?
– Je ne sais pas.
– Il me manque, tu sais.
– Je sais, moi aussi il me manque. Il me manque beaucoup.
– Pourquoi on peut pas aller voir papa ? Demain, par exemple. J’ai pas école demain. Ce serait bien qu’on y aille. M’man, pourquoi demain on pourrait pas prendre la voiture comme d’habitude pour aller voir papa ?
– On ne peut pas y aller comme ça, sans prévenir. Et, en ce moment, c’est un peu compliqué
Arthur croise les bras sur sa poitrine en boudant.
– Pourquoi c’est compliqué ? Moi j’veux voir mon papa
– Arthur, je suis désolée, ce n’est pas possible.
– …
– M’man ?
– Oui.
– Pourquoi papa il vient jamais ici ? Pourquoi on doit toujours aller là-bas ? J’m’ennuie un peu là-bas. On attend trop longtemps. Ce serait bien qu’il vienne vivre ici, avec nous.
– Ça aussi ce n’est pas possible. Je te l’ai déjà expliqué. Il ne peut pas quitter l’endroit où il habite.
– Pourquoi ?
– Parce que des gens ont décidé qu’il devait rester là-bas et qu’il ne pouvait pas sortir.
– Il est puni ? Comme moi, quand la maîtresse me dit qu’j’suis pas sage et qu’ j’dois rester en classe pendant la récré ?
– Oui, c’est ça.
– Ah bon.
…
– M’man ?
– Oui, mon cœur.
– Pourquoi il était fâché papa, la dernière fois ? J’ai fait que’que chose de mal ?
– Oh non, mon chéri. Papa n’était pas fâché contre toi. Surtout ne pense pas ça. Jamais. Papa t’adore. Tu es la personne qui compte le plus pour lui. La dernière fois, papa était très triste et un peu en colère. Mais pas contre toi.
– En colère? Pourquoi ?
– Parce que les gens ne veulent pas l’écouter.
– Et il est encore triste ?
– Oui
– Et en colère ?
– Oui.
– Alors m’man, il faut aller voir papa, pour le réconforter.
Kate caresse les cheveux de son fils. Des cheveux blonds, un peu bouclés. Comme ceux de son père.
– Tu devrais dormir maintenant, Arthur. Veux-tu que je te lise une histoire? Celle du petit lapin ?
– Non m’man, j’veux pas d’histoire. J’vais dormir.
Arthur prend son doudou dans ses bras, un petit lapin dont le tissu est par endroits un peu usé. Kate allume la veilleuse puis attend que son fils s’endorme avant de sortir de la chambre. Elle se rend dans le salon silencieux et reste immobile, assise sur son canapé, jusqu’au moment où la sonnette de la porte d’entrée retentit. C’est l’avocat de son mari.
– Vous allez tenir le coup ? lui demande-t-il
– J’ai le choix ? répond-elle, furieuse, avant d’ajouter, plus doucement : Pardonnez-moi, je ne devrais pas vous parler comme ça. Vous vous occupez de la défense de Peter depuis le début. Je sais que vous faites le maximum. Mais là…
– Je comprends. Vous n’avez pas à vous excuser. Et Arthur ? Il est couché ?
– Il vient de s’endormir. Pauvre Arthur. Il n’aura connu son père que dans ce couloir, toujours habillé de cette immonde combinaison orange. Je ne supporte plus l’orange. Je ne supporte plus le bruit des chaînes, des clés dans les serrures, des grilles qui se referment bruyamment. Je ne supporte plus de le voir sourire, sachant qu’il veut donner le change, pour nous préserver. Je ne supporte plus cette attente, ces espoirs détruits les uns après les autres. Et Arthur, comment lui dire ? Comment lui dire que son père va être exécuté dans deux jours ?
– Vous avez encore l’appel du gouverneur.
– L’appel du gouverneur ? En pleine réélection ? Vous y croyez? Donnez-moi le nom d’un condamné qui a bénéficié de la grâce de ce cher gouverneur. Un seul nom.
– …
– Vous voyez, on ne peut rien espérer de ce côté-là. Voilà presque sept ans que l’on passe d’appel en appel, tous rejetés les uns après les autres. En sept ans, on n’a pas fait le moindre pas qui nous fasse espérer le voir sortir un jour. Cette attente est la pire des tortures.
– Après-demain, vous avez le droit à une dernière visite, de plusieurs heures. Voulez-vous venir avec Arthur ?
– Non. C’est trop nous demander et de toute façon, Peter ne veut pas.
L’avocat se lève alors que son téléphone sonne. Il s’isole dans la cuisine pour revenir quelques instants plus tard, la mine sombre.
– J’ai de mauvaises nouvelles. Hier soir, votre mari a été découvert dans sa cellule, inanimé. Il a fait une tentative de suicide en prenant des médicaments. Il a été transféré à l’hôpital, en réanimation. Ses jours ne sont plus en danger.
– Ses jours ne sont plus en danger ? ricane-t-elle nerveusement. Il est en réanimation ? Vous vous rendez compte de ce que vous dites ?
– Ecoutez…
– Mais enfin que cherchent-ils exactement ? Le remettre sur pieds ? Bien le chouchouter ? Pour qu’il soit en pleine forme pour le grand jour ?
– Kate…
– C’est monstrueux. Pourquoi font-ils ça ? Pour tout bien maitriser ? Jusqu’au bout ? Mettre en scène son exécution pour pouvoir dire qu’elle a été appliquée avec empathie – oh, comme je déteste ce mot – et humanité ? Parce que je l’ai entendu ce discours. Tout ça, c’est des putains de conneries.
– Calmez-vous, Kate.
Kate se penche en avant et prend sa tête entre ses mains.
– Cette tentative de suicide changera-t-elle quelque chose ? demande-t-elle au bout d’un instant
– Non. L’exécution sera peut-être reportée, d’un jour ou deux, mais elle aura bien lieu… Kate…
– Oui ?
– Vous étiez au courant, n’est-ce pas ? Vous saviez qu’il voulait se suicider.
– C’était…comment dire…le seul acte de liberté qui lui restait. On ne lui a même pas accordé ça.
Arthur, dissimulé derrière la porte du salon, retourne se coucher sur la pointe des pieds et serre son lapin dans ses bras.
– T’as vu, lapinou ? M’man était triste. Elle est souvent triste m’man, j’le vois bien. J’crois que c’est à cause de papa. Tu t’rends compte, elle a dit des gros mots. Putains de conneries. C’est pas beau ça, de dire des gros mots…
… Lapinou, tu sais ce que ça veut dire toi, e-sé-cution ?