Je vais te raconter ce qui se passe, je vais tout t’expliquer. Tu n’as que quelques mois, tu ne sais pas parler. Tu n’as rien fait de mal, les autres non plus. Personne ne voulait que notre histoire se termine comme ça. Ils ont été maladroits, imprudents, ils ont manqué de clairvoyance. Ils ont eu peur de ne plus avoir d’énergie et ils ont développé le nucléaire. Ils s’y sont mal pris. Ils ont fait des bêtises, ma Clélia, et toi tu partiras sans en avoir jamais fait. Tu es née au début de la réaction en chaîne. Elle a été lente et insidieuse alors que toi tu devenais de plus en plus vive et éveillée. J’ai eu le temps de te faire découvrir la légèreté du printemps. Les enfants riaient encore les derniers jours dans les squares, inconscients de ce qui se tramait. Les mamans ne disent rien, elles ont l’air grave et résigné, c’est tout.
Clélia, mon trésor, mon amour, tu mourras demain. L’onde mortifère n’est plus qu’à quelques dizaines de kilomètres, elle éteint tout sur son passage. Ce sera la nuit pour toujours et pourtant le soleil continuera à illuminer notre dévastation.
Je serai là jusqu’à ton dernier souffle, je te parlerai, je te sourirai, je t’embrasserai. Je te raconterai tous les bonheurs que tu ne connaîtras pas. Je t’inventerai une enfance, une jeunesse et une vie de femme. Je te parlerai de l’amour et je te bercerai. Peut-être que tu t’endormiras avant que la fission n’arrive.
N’aie pas peur, ma Clélia, je ne te laisserai pas seule, je resterai en vie tant que tu auras besoin de moi. Puis je partirai moi aussi, sans souffrance, ils nous l’ont promis. Je laisserai mes cellules se fissurer les unes après les autres. Alors seulement je penserai à moi, à mon enfance heureuse, au bonheur de t’avoir donné la vie, aussi brève soit-elle. A moi aussi j’inventerai un avenir où tu seras à mes côtés et je partirai la tête pleine de rêves.
Je t’aime ma Clélia,
Ta maman