Gracieuse, légère, délicate, elle semble presque survoler la petite rue aux façades colorées. Son regard gourmand scrute la devanture de la boulangerie-pâtisserie : « La flûte enchantée ». On croirait même qu’elle dévore mentalement les babas au rhum, éclairs au café et tartelettes aux framboises. La jeune femme aux cheveux bouclés et aux yeux de biche se décide finalement à entrer.
Elle pousse la porte. La boulangère apparait au tintement de la clochette. Elles se sourient.
Juin 1953. Quelque part en Bavière, au bord d’un lac. En ce début d’été, une tiédeur insolente alimentait une soif insatiable de plaisir pour oublier les tourments de la guerre, encore très vivaces. Le soir tombait, la foule s’agglutinait peu à peu vers la porte du chapiteau, dans les rires et la bonne humeur, prête à s’esbaudir des gags des clowns et à frémir aux audaces des trapézistes. Les cuivres de l’orchestre éclatèrent pour annoncer l’entrée.
A l’opposé, sous une petite tente en verrue le long du chapiteau, Zippo se préparait sans précipitation, selon un plan immuable. Tout d’abord, son corps, certes un peu enveloppé par l’âge, devint difforme dans le costume empesé, tout d’une seule pièce, qu’il enfila en un tournemain. Ce costume duveteux qu’il se plaisait à caresser avant chaque représentation, dans un lent rituel savamment calculé où se dissolvait son trac.
La vie fait beaucoup de bruit.
L’alarme du réveil sonnait une autre couleur ce matin-là. C’était une des rares nuits où l’on attendait de l’entendre. Une des nuits où un silence entier enveloppe la maison car la quiétude du lendemain apaise les corps et les prépare au vacarme. Une mélodie est venue fendre cette paix avec rythme et douceur: elle n’annonçait pas les journées pressantes où une minute chasse l’autre comme un écho. Elle avait le goût des vacances, du calme et du repos.
Elle avait fait ce qu’il fallait, le village était prévenu. A présent, il ne restait plus qu’à attendre. Baptiste et le maréchal-ferrant étaient partis à leur recherche, ils seraient de retour avant la nuit.
Rosalie poussa la porte de sa maison. Il commençait à y faire frais. C’était la fin du printemps, la montagne s’était dégagée de son manteau de neige et les routes étaient à nouveau praticables, mais les soirées restaient fraîches. Elle déposa ses sabots crottés dans l’entrée, referma la porte avec soin et commença à s’affairer pour faire repartir le feu. Les braises, tirées de leur sommeil de sous la cendre, embrasèrent rapidement le petit-bois, tandis que Rosalie mettait la dernière bûche. Cette fois-ci, ce serait à elle de couper le bois. Cette année l’hiver avait été plus long que de coutume et ils étaient pratiquement arrivés à la fin de leurs réserves. Heureusement qu’ils avaient gardé le surplus de l’année passée.
Le raz-de-marée en Afrique a entraîné la grève des garçons de café en France. Cette journée insensée a commencé par cette information, qui m’a été apprise par Jean-Pierre Daron au flash info de treize heures. Non, en fait maintenant que j’y pense, elle n’a pas commencé comme cela. Cette journée de fous a commencé par la disparition de mon foulard, mon foulard de velours rouge que Lucette m’avait offert, dans nos belles années, et qui m’a toujours porté bonheur. Puis, les choses ont dégénéré.