Jour 1
4h29 au réveil, lorsque je daigne le regarder. Je me sens étrangement épuisé. Le rêve se délite peu à peu, à la manière d’une toile d’araignée déchirée par la pluie. Je l’admire encore un peu. J’en compte les spires, les rayons, les perles d’eau suspendues. Puis je m’en arrache à regret et le plafond me fixe, tandis que je reste étendu, telle une bête blessée. Curieux goût en bouche : les dernières notes sucrées d’un mélange de passion et de calme.
Ébahi, je prends enfin conscience que j’ai le souvenir de mon rêve ! Cela ne m’est jamais arrivé en vingt-cinq ans. Pas une fois, pas une seule. C’est une sensation presque effrayante. Au lieu de me rendormir, je ressasse mon souvenir pour le graver dans ma mémoire.
Sonnent 6h, et je me lève à contrecœur. L’envie de trainer me pousse à marcher plutôt qu’à prendre le métro. J’arpente des rues que personne n’emprunte, puis débouche sur l’avenue bondée, saturée de bruits et d’humidité. Je passe le portail de l’université, traverse le dédale de bâtiments de briques et atteins mon laboratoire qui se tient par une passerelle à l’Institut de Botanique. Je calcule que j’y passerai dix heures à tripoter des fleurs pour en extraire et identifier leurs espèces chimiques. C’est un ballet de gestes répétitifs : disséquer, observer, couper, broyer, dissoudre, filtrer, injecter, traiter, calculer… D’ordinaire, j’adore ce ballet. Pas aujourd’hui. J’ai toujours un goût sucré en bouche. Une sensation étrange m’engourdit. Le canapé de la cafétéria veut que je m’y allonge. Dix heures à attendre, c’est trop long. Je m’encourage : Elles passeront vite. L’espoir fait vivre, dit-on. Mais l’espoir c’est de l’attente, et l’attente dilate le temps.
Merde, que ce rêve était bon.
Jour 2
Surprise totale de la matinée : j’ai de nouveau rêvé.
Jour 5
Cinq jours d’affilée… Inouï ! Réveil à 4h29, même heure chaque jour.
— Tu n’as pas assez dormi, toi ! me tance un collègue, qui ne sait pas à quel point il a raison.
Jour 13
Mes journées ne sont plus que frustrations, vaines tentatives de trouver un dernier biscuit dans une boite vide. Malgré mes efforts, je ne m’endors qu’après une heure du mat’. En attendant le sommeil, je me retourne et transpire, je m’agite comme un presque-noyé dans un océan de draps.
Jour 16
Ma montre connectée a la capacité de détecter le début de ma phase de sommeil paradoxal. D’après l’application, elle débute à 1h37 du matin toutes les nuits, puis cesse, toutes les nuits, à 4h29. Même le mécanisme d’une horloge n’est pas aussi régulier. Autre bizarrerie : je suis censé enchainer plusieurs cycles de sommeil paradoxal, mais ma montre affirme que je n’en fais qu’un par nuit.
Je n’y comprends rien.
Jour 18
La phase de sommeil paradoxal s’amorce lorsque le corps devient tout flasque, tandis que les yeux bougent encore, témoins d’une forte activité cérébrale. Je me suis donc filmé durant la nuit et j’ai maté la vidéo dans la matinée. Jusqu’à une heure du matin, tout allait bien, légère bave, ronflements occasionnels, baragouin d’ivrogne. Et puis à 1h37, mes yeux se sont mis à bouger à un rythme frénétique, comme pour s’échapper des paupières. 1h37 pile. Je m’y attendais, mais accuse encore le choc.
La Nature n’est pas d’une telle précision. Les cycles biologiques ne sont pas réglés à la minute près. C’est forcément artificiel. Peut-être surnaturel…
Je devrais voir un médecin.
Jour 21
Tant pis pour le médecin. Je me fiche de ce qui cause mon mal, bactérie, parasite ou sortilège. C’est trop bon. Si je me mets à faire des cauchemars, alors nous verrons.
Je ne rêve que deux heures cinquante-deux, et c’est trop court à mon goût. J’ai lu dans je-ne-sais-quelle-revue qu’une tribu de je-ne-sais-où peut maitriser je-ne-sais-comment la durée de ses escapades oniriques. J’ai retrouvé l’article en ligne. Qui ne tente rien…
Jour 24
Cette stupide tribu a forcément menti.
Jour 28
Je sens encore la substance de l’illusion sous mes doigts, mais elle s’effrite comme un château de sable dès que je l’étreins. Supplice de Tantale. Émerger se fait toujours dans la douleur. Mon corps est tendu, verni de sueur, tremblant, pantelant. Il me faut un quart d’heure pour me maitriser. Les frissons sont brutaux, ils me laissent des crampes et des pulsations dans le crâne. De plus en plus de mal à me lever, de plus en plus de mal à regarder le reflet dans le miroir, qui donne corps à ma triste réalité.
Jour 30
Mes hallucinations nocturnes partagent le même univers d’une itération à l’autre. Les mêmes règles, les mêmes personnages, les mêmes décors. J’y suis moi, mais un moi meilleur, un moi dont je fantasme. Je n’en ai parlé à personne, ce monde parallèle évanescent n’appartient qu’à moi. Les autres ne le souilleront jamais. Pensée réconfortante.
Mon directeur de thèse a sa tête des mauvais jours. Il veut mon rapport sur la Cycladia, une fleur endémique d’Uruguay. Mortifié, je réalise que je n’ai pas mes notes. Deux mois de résultats oubliés chez moi. Bien sûr, le patron n’apprécie pas.
— Tu veux ton doctorat ou non ? Merde, t’as la chance d’être le premier en Europe à étudier cette plante, alors profites-en !
Il se penche comme pour parler bas, mais hausse la voix. La porte est ouverte et il le sait.
— Si tu ne prends pas ce projet au sérieux, je trouverai quelqu’un d’autre qui le mérite.
J’acquiesce, et pars. Seul, je ferme les yeux, me bouche les oreilles et rejoue mes rêves en pensée. L’ivresse que cette session me procure est celle d’un aveugle qui recouvre la vue.
J’attends les premières lueurs de la prochaine nuit.
Jour 32
J’écris mes songes dans un gros cahier pour les revivre par la lecture. Piètres imitations : les mots ne seront jamais plus puissants que nos sens, mais c’est toujours mieux que de simples souvenirs.
Jour 48
Je feuillette les pages manuscrites de mes yeux injectés de sang. J’ai oublié mon repas dans le four. Mes placards sont vides, alors je grignote la pizza noire de charbon. J’attends ma rêve-heure.
Jour 70
J’ai le ventre qui se tord, le cœur qui me brise les côtes. J’ai peur de ne pas rêver, parce que j’ai peur de ne pas réussir à m’endormir, parce que j’ai peur de ne pas rêver. Angoisse qui me paralyse tout le jour. Je renverse échantillons, lamelles et pissettes, je fais planter les machines, j’éteins les lampes solaires, ce qui fait crever les cultures, puis je bégaie devant mes bêtises – dont je n’ai aucun souvenir. On me menace de mise à pied, mais en vérité ils ne peuvent rien faire.
Vengeance basse, on murmure dans mon dos.
— Tu n’es pas venu à Noël, me reproche ma mère au téléphone.
Je m’agace et grince :
— Maman, Noël est dans un mois.
Elle s’affole :
— Mais qu’est-ce que tu racontes ! C’était il y a une semaine !
Je ne sais pas quoi répondre, alors je raccroche. Elle est paniquée, mais ne viendra pas. Mon père ne voudra pas se déplacer pour si peu.
Tant mieux. Mon prochain rêve est dans cinq heures et deux minutes.
Jour 76
La nuit tombe. Je suis d’une lucidité relative.
Je me planque dans un coin du laboratoire, les autres s’en vont sans me voir. Les lumières s’éteignent. J’attends deux heures, puis me mets en mouvement, sous l’éclat de la lune. Je désactive l’alarme et franchis la passerelle couverte qui mène à l’Institut de Botanique. Bruit de graviers, lampe-torche qui fend la nuit. Un vigile qui se balade. Il s’éloigne. Je badge pour rentrer dans le bâtiment.
La serre est dans une cour intérieure. Je sors un scalpel qu’on utilise pour fendre les pistils. Les pavots m’attendent sous leurs lampes de culture. Les pétales sont tombés la veille. Il ne reste que les capsules gonflées, surmontées d’étoiles à douze branches. Elles sont comme de gros raisins prêts à exploser d’une simple pression de doigts. Je les cueille et les enfourne dans mon sac. Je traverse de nouveau la passerelle, réactive l’alarme et sors par l’accès principal. Je contourne le bâtiment, brise une fenêtre de l’Institut avec une grosse pierre, puis me faufile dans des ombres jusqu’au portail. Ici, il y a une caméra, mais la lune est voilée, je suis en noir et j’ai ma capuche.
J’escalade le portail et cours, cours comme un fou, parce qu’à ma montre il est déjà minuit et j’ai peur. Je ne sais pas ce qu’il se passera si je rate ma rêve-heure. Je ne veux pas arrêter de rêver. Jamais.
Plus qu’une heure. Pas de métro, le bus se traine, le temps s’écoule comme l’eau à la mousson. 0h46. Je sors du bus et cours de plus belle. Ma sacoche est lourde, elle me cisaille l’épaule ; il fait froid putain, sacrément froid. Mes sens s’embrument. Je m’assoupis malgré moi. J’ai de la fièvre, le cœur au bord des lèvres, du mal à respirer. Il est 1h03 lorsque j’atteins mon immeuble. J’ouvre ma porte et me cogne contre les meubles. Ma sacoche obèse déverse son pavot sur le parquet. Je m’effondre en crise de nerfs. À quatre pattes, j’incise le flanc des capsules au scalpel. Je m’entaille le pouce parce que mes mains tremblent, mais j’ai l’habitude. Au labo, ça m’arrive tout le temps.
Le sommeil me harcèle soudain. Mes yeux se ferment, se rouvrent, se ferment ; la lutte est douloureuse. Le latex suinte des capsules, collant comme du miel, épais comme du pus : de l’opium, riche en morphine. Une fois séché, je pourrai m’en nourrir. La morphine endort et détend. Peut-être qu’elle prolongera mes rêves. Peut-être qu’elle hâtera leur venue.
Je vomis dans la douche, m’essuie du coude, et m’effondre. Envie de pisser : tant pis.
1h37. Je sombre.
Jour 81
La fenêtre brisée leur a fait soupçonner un cambriolage par des dealers du coin. Moi, j’enrage. L’opium m’abrutit quand je ne dors pas, et quand je dors, il se fait désirer. L’augmentation des doses n’a aucun effet. À la place, j’ai des absences et des migraines. Échec brutal. Je jette le sachet d’opium au fond d’un tiroir.
J’attends. J’ai peur. Après 1h37, vient 4h29 et alors reprend le cauchemar.
Jour 89
La nuit est mon jour, le jour est ma nuit. La réalité n’est plus qu’une prison figée, immuable, tapissée de grisaille. Parenthèse horrifique entre deux Éden. Cycle infernal, torture inhumaine.
Une faible voix s’élève en ma conscience. Rêve ou cauchemar. Elle me dit que j’ai encore le choix.
Jour 91
Le psy me diagnostique un surmenage et me met en arrêt pour deux mois. Je vide la pharmacie du coin de son stock de somnifères. Ce sont des marchands de sable efficaces : je dors toute la journée. Je ne rêve pas pour autant avant ma rêve-heure, mais au moins je ne sens plus l’attente.
J’ai fait mon choix.
Jour 102
4h29. Je fracasse le réveil en le balançant au mur. Je suis en larmes tandis que les dernières onces d’endorphine se diluent dans mon sang bouillant. Il ne me reste qu’un fantastique spasme, fantôme d’orgasme, douloureux fantasme.
J’écris toujours mes rêves, mais les mots restent inertes sur les feuilles de mon cahier.
Jour 125
Je ne quitte plus le lit. Dès que j’émerge, j’avale un somnifère et relis mon cahier en attendant son effet. Je pue. Je ne mange plus. Gorge en flammes, lèvres sèches, yeux chassieux. Je rampe vers un évier en quête d’eau. Mon estomac n’est qu’un énorme ulcère. Dans mon délire, je me dis : Si je ne rêve plus, c’est sûr, je me tue.
Jour 149
J’ai faim. J’ai soif. La fatigue m’étreint, mais je ne dors pas. J’avale un somnifère à sec. Il s’englue dans ma trachée, puis descend mon œsophage en le râpant de ses arêtes coupantes. Il n’a aucun effet. Je n’ai plus de somnifères. Le temps est une saloperie relativiste : trop longue est l’attente, trop court est le répit.
Jour 153
À peine huit heures du matin. Putain, ça fait deux heures qu’il est huit heures du matin. Le soleil filtre à travers les volets. Ses photons instillent de la folie dans mes rétines. Pour perdre conscience, je me tape le crâne contre le montant du lit. Le sang gicle, coule, réchauffe ma peau. J’ai foutrement mal. Ma tête s’est fendue et la panique s’y engouffre. J’ai peur d’avoir abîmé mes rêves.
Je veux vomir, mais rien ne sort et je me contente de borborygmes écœurants. La douleur me donne une idée : il me reste pas mal d’opium. J’hésite et puis me dis : Autant tout prendre, autant être sûr de m’endormir. Peut-être que la mort est un rêve éternel, puisqu’on ne s’en réveille pas.
Je ricane de cet espoir en dénichant le reste de la résine brunâtre dans un tiroir, parce que je me dis que l’espoir fait mourir.
Jour 158
Du néant surgissent rumeurs de voix, bruits de pas et couinements de chariots sur un lino luisant. Mes pensées sont claires. Sur le mur, une horloge en plastique blanc, ornée d’aiguilles noires et tremblantes qui indiquent 14h30.
Je comprends que j’ai cessé de rêver. Une clarté insupportable inonde l’espace et je me mets à sangloter. Je suis à l’hôpital, j’ai fait une overdose de morphine. Je suis très amaigri, déshydraté, commotionné. Ma voisine a entendu mes râles et a appelé les pompiers. C’est du moins ce qu’on m’explique. « Une chance que vos murs soient fins », dit le médecin.
On a prévenu mes parents. Honte et culpabilité.
— Où est mon cahier ?
— Tu n’en avais pas en arrivant. Il doit être chez toi. Un ami peut peut-être te le récupérer ?
Plus facile à dire qu’à faire.
Jour 167
C’est ma mère qui me l’apporte. Elle est douce et soumise, elle souffre de me voir ainsi, mais ne dit rien. Je suis sûr qu’on leur a parlé d’une TS. Mon père gueule aux infirmiers que c’est à cause de la pression exercée par le système éducatif.
— Tous les grands esprits sont fragiles, faut pas les pousser à bout ! On peut pas lui jeter la pierre, hein ? Allez, fils, t’inquiète pas, on va porter plainte.
J’explose et lui ordonne de se taire. Ma voix s’étrangle, mais je trouve le courage de les jeter dehors. La foutue lumière me poignarde.
Je suis sûr que ma mère a lu le cahier, mais n’ose pas m’en parler. Je sais aussi que mon père en a lu trois mots avant de le jeter et de faire comme s’il n’avait rien vu.
On me donne de la bouffe liquide pour réhabituer mon estomac abîmé. Je n’ai pas droit aux antidouleurs. Dès qu’on me fout la paix, je ferme les stores.
Adieu, rêve-heure. Me voilà bloqué dans mon cauchemar. La fenêtre n’est pas loin, l’enjamber ne prendra que quelques secondes…
Mais elle est au rez-de-chaussée.
Jour 182
Une femme en blouse est assise dans une chaise qui grince, alors je me réveille. Elle détonne dans le cadre de la chambre. Ses lèvres remuent.
— Camille Molinsky. On peut parler, toi et moi ?
Si c’est un rêve, il ne ressemble pas aux précédents.
— Je suis interne en psychiatrie. Je cherchais un sujet de thèse et le sujet, je l’ai trouvé. Chambre 28. C’est toi.
Je la prends pour une folle échappée de l’unité psychiatrique. Avant que je n’aie le temps de la questionner, elle me jette un article de revue scientifique sur les genoux. Photo de fleur violacée en couverture. Je reconnais la Cycladia, dont les deux seuls grands pétales forment une sorte de sablier.
— Tu as été empoisonné, poursuit-elle. Suite à ton exposition à cette fleur. Elle sécrète dans sa sève un hallucinogène inconnu. Une équipe brésilienne a publié ça il y a huit jours. C’est ton directeur de thèse qui a fait le lien quand il a appris pourquoi tu étais ici. Apparemment, tu t’étais entaillé le pouce en disséquant quelques spécimens. La substance a dû entrer dans ton corps à ce moment-là.
Je refoule une crise d’angoisse.
— Tu n’hallucines plus parce qu’ils ont nettoyé ton sang. Tout n’était que le résultat d’une simple erreur de manipulation. Ton médecin refuse de t’en parler pour le moment. Je ne partage pas son avis.
Elle tapote l’article sur le lit.
— Science et Avenir a pondu un article repris par Le Monde, puis une star d’Instagram en a fait une vidéo et ça a gangréné les émissions télé débiles. Coup de buzz monumental. On en parle comme de la prochaine drogue à problèmes, pire que l’héroïne et autres substances du même genre. En tout cas, elle t’a complètement retourné l’esprit.
Je souhaite que le cauchemar s’arrête, mais Camille n’est pas de cet avis.
— Elle dérègle les phases de sommeil en parasitant l’hippocampe du sujet intoxiqué. Son action est corrélée au cycle circadien de production du cortisol. Lorsque le cortisol est élevé, durant la journée, le poison dans ton sang est mis « en veille ». Et puis à partir d’une certaine heure, les niveaux de cortisol baissent pour t’indiquer que le corps a besoin de dormir. Le poison prend alors le dessus et se déchaine dans le système limbique. Puis, un peu avant l’aube, le cortisol remonte, et la drogue cesse son effet. Une fois ce premier cycle initié, il se répète sans fin.
Je secoue la tête, refusant de croire à ses explications. Elle continue néanmoins :
— Ils l’appellent « cycladine ». Effets à très long terme, même à faible dose, et, je te l’accorde, absurdement réguliers. Du jamais vu pour un psychotrope. Ils veulent tous t’étudier.
Elle agite soudain mon cahier. Pris de panique, j’essaie de l’attraper.
— Je me suis permis de le feuilleter.
Je me tétanise, la colère monte.
— Tu as honte ? s’intéresse-t-elle. Pourquoi ? Ça ne me dérange pas, moi.
Elle me colle un papier et un stylo entre les doigts.
— Écris ton numéro. Je veux pouvoir t’appeler si j’ai des questions. Ah, et j’emprunte tes écrits pour les numériser.
J’arrive enfin à lâcher un mot.
— Non.
— Il ne quittera pas mon disque dur, promet-elle. Mais j’en ai besoin. Tu es le seul au monde à avoir…
— Oui, oui, c’est merveilleux tout ça, mais je regrette, tu ne peux pas prendre ce cahier, tu ne peux pas vouloir le montrer. C’est une part de moi. Ce sont mes secrets, mes…
— Fantasmes, me coupe-t-elle.
Elle se met à réfléchir.
— Alors, faisons un échange.
Je n’ai pas le temps d’évaluer son offre. Elle sort son téléphone et enregistre par message vocal son plus gros secret, devant moi, qui ne la connais même pas. J’en rougis sur-le-champ. Elle arrête l’enregistrement, me redemande mon numéro. Je suis forcé de m’exécuter. Elle m’envoie le vocal puis s’en va, guillerette, mon cahier sous le bras.
Jour 189
Camille revient sans cesse pour discuter. Je crois qu’on s’éloigne un peu du sujet de sa thèse. Mais je lui parle quand même.
Je ne sais pas pourquoi.
Nuit 1
C’est la veille de ma sortie. Elle s’est absentée de sa garde pour se faufiler dans ma chambre et me réveiller. Elle m’embrasse pour la première fois.
Il est 1h37, mais je n’ai pas besoin de regarder l’horloge pour le savoir.